• La plus délicate des roses
    Est, à coup sûr, la rose-thé.
    Son bouton aux feuilles mi-closes
    De carmin à peine est teinté.


    On dirait une rose blanche
    Qu'aurait fait rougir de pudeur,
    En la lutinant sur la branche,
    Un papillon trop plein d'ardeur.


    Son tissu rose et diaphane
    De la chair a le velouté ;
    Auprès, tout incarnat se fane
    Ou prend de la vulgarité.


    Comme un teint aristocratique
    Noircit les fronts bruns de soleil,
    De ses soeurs elle rend rustique
    Le coloris chaud et vermeil.


    Mais, si votre main qui s'en joue,
    A quelque bal, pour son parfum,
    La rapproche de votre joue,
    Son frais éclat devient commun.


    Il n'est pas de rose assez tendre
    Sur la palette du printemps,
    Madame, pour oser prétendre
    Lutter contre vos dix-sept ans.


    La peau vaut mieux que le pétale,
    Et le sang pur d'un noble coeur
    Qui sur la jeunesse s'étale,
    De tous les roses est vainqueur !

    Théophile GAUTIER   (1811-1872)


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  • Nous nous faisons, en général, une bien fausse idée du temps. Nous l'accusons de nous ôter nos illusions, d'étouffer nos espérances, d'effacer nos regrets aussi bien que nos joies, d'effeuiller dans nos parterres nos fleurs les plus choyées, d'éteindre dans nos cieux nos plus belles étoiles. Nous nous trompons, le temps n'emporte rien. Nos illusions, c'est nous-mêmes qui dépouillons leurs ailes, pour écrire avec leurs plumes une élégie sur leur perte ; c'est nous qui tuons l'espoir en l'embrassant ; c'est nous qui soufflons sur nos joies, qui tendons nos larmes au soleil pour qu'il sèche nos joues ; c'est nous qui saccageons nos fleurs pour en semer d'autres qui ne viendront pas ; c'est nous qui fermons les yeux pour nier les étoiles.
    Quant à moi, je n'ai rien perdu. Sous la surface glacée de ma source, l'eau vive coule toujours ; l'herbe est verte sous le givre de mon automne. Que me dites-vous que mes beaux jours sont passés ? Ils ne sont pas morts puisque je m'en souviens.
     

                                                      Jules LEFEVRE-DEUMIER

                                                              ( 1789 - 1857 )


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  • Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
    Je me suis promené dans le petit jardin
    Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
    Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.


    Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
    De vigne folle avec les chaises de rotin...
    Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
    Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.


    Les roses comme avant palpitent ; comme avant,
    Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,
    Chaque alouette qui va et vient m'est connue.


    Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
    Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,
    - Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.

    Paul VERLAINE   (1844-1896)


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